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Wednesday, 23. October 2024

Armes Nucléaire: La pandèmie finale

Colloque à Londres les 3-4 octobre

15.10.2007 Nombre d´européens hésitant devant les frais du voyage à New Delhi en 2008 pour le prochain Congrès mondial de l´IPPNW, sa branche britannique MEDACT a organisé à Londres, en collaboration avec la Royal Society of Medicine, et dans les imposants locaux de cette vénérable institution, deux jours de séminaires, les 3 et 4 octobre dernier. Plus de cent délégués européens, russes compris, s´y retrouvaient avec des collègues américains, australiens, indiens, pakistanais, et japonais. Nous connaissions d´ailleurs pas mal d´entre eux, souvent de vieux amis.

Nuclear Weapons: the Final Pandemia, couvrait les développements diplomatiques et les rapports, parfois malaisés, de l´IPPNW avec les autorités politiques des pays nucléaires. Plusieurs mises au point sur des problèmes médicaux liés au nucléaire furent aussi exposées.

Nous n´évoquerons ici que quel-ques uns des thèmes abordés, qui apportaient des observations nouvelles ou peu connues.

Le Professeur M. Tomonaga qui ouvrit la réunion, était lycéen à Nagasaki en 1945, ce qui orienta sa carrière médicale vers l´étude hématologique des survivants, aujour-d´hui tous âgés et peu nombreux, et leurs descendants. On n'a pas (encore) décelé de séquelles génétiques chez ceux-ci. Répondant à une question sur la nature des cancers apparus dans les décennies qui ont suivi la catastrophe, il précisa qu´on n´a pas observé de différences entre ceux de Hiroshima et ceux de Nagasaki, alors que la seconde bombe, au plutonium, devait être plus de cent mille fois plus radioactive que la première, à l´uranium. Mais a t´on cherché à préciser ce point ? Ou se limitait-on dans ces premières décennies, au seul aspect quantitatif ? A Nagasaki, ville touchée excentriquement, le nombre de cancers ultérieurs fut, bien entendu, moins élevé.

Pathologies après accidents nucléaires

Le Prof. E.D. Williams revint sur les pathologies observées après l´accident de Tchernobyl. Il se moqua des affirmations contradictoires peu scientifi-ques : la canadienne R. Bartels, férocement opposée à tous les aspects du nucléaire, a calculé que l´explosion de la centrale ukrainienne est responsable d´un million de cancers dans toute l´Europe ! Cela a amené le comité scientifique de l´ONU, à inclure une phrase malheureuse dans son rapport à l´Agence Internationale de l´Energie Atomique à Vienne, disant que les seules victimes tout à fait incontestables, sont les 36 malheureux employés morts à la suite de l´incendie. Ce rapport reconnaît cependant que, outre le millier de cancers thyroïdiens d´enfants biélorusses, et la mort de certains des volontaires qui ont construit le sarcophage enfermant le réacteur endom-magé, il y a sans doute quelques milliers d´autres conséquences pathologiques graves impossibles à identifier individuel-lement. Y a-t´il un seuil de dose d´irradiation en dessous duquel il n'y a pas d'effet ? Il ne faut pas oublier que plus d´un million d´européens meurent chaque année de cancers dus à des causes les plus diverses et qu'un surplus, même de quelques dizaines de milliers, dispersés sur tout le continent en trente ans, ne serait pas statistiquement identifiable. Il conclut que des études plus précises sont nécessaires, étant donné que les effets des irradiations faibles sont stochastiques (la fréquence de leur incidence due au hasard, est non déterminée).

Perspective
Le Prof. V. Sidel (Brooklin, New York) s´attache à une perspective historique. La proli-fération nucléaire s´étendra si rien n´est fait. On constate que, au train où vont les choses, un pays nucléaire de plus s´ajoute tous les cinq ans à la liste. La diversification des modèles de têtes, certaines explosant au sol, et les petites bombes que ces nouveaux pays sont plus suscep-tibles de produire, entraîneraient 10 à 100 fois plus de morts par kilotonne d´explosif, et 100 fois plus de fumées et de poussières larguées dans la haute atmos-phère, que les bombes précédentes de plus gros calibre.

Renouveau de l´hiver nucléaire
Les modèles mathématiques d´analyse des courants atmosphériques et stratosphériques se sont fort perfectionnés depuis vingt ans quand on a prédit pour la première fois un « hiver nucléaire ». Les exposés d´O.B. Toon (Université du Colorado) et d´A. Robock (Rutgers University) sont très démonstratifs. Même une guerre nucléaire régionale, limitée et de courte durée, qui n'échangerait qu'une centaine de têtes, ou moins (par ex., entre l'Inde et le Pakistan), produirait un nuage radioactif et de poussières, qui s´étendrait en quelques semaines, sur presque tout un hémisphère (ex. : moitié de l´Afrique, une grande partie de l´Europe, et de l´Amérique du Nord). Le soleil y serait caché pendant des mois et la température moyenne descendrait de 2 à 5 degrés. La situation ne se rétablirait qu´au bout d´une décennie. Ces refroidissements temporaires seraient sans doute des épisodes transitoires sur le fond de réchauffement général de la planète, mais suffisamment longs pour avoir des conséquences dramatiques dans de vastes régions. La réduction de la luminosité serait le facteur le plus grave. De grandes zones agricoles verraient leur productivité réduite ou anéantie. Comme la production actuelle de céréales suit avec peine une demande qui explose depuis le développe-ment économique de la Chine et de l´Inde, les prix monteront et des disettes, voire des famines s'installeront dans des régions démunies. Ces prédictions, fon-dées sur des modèles de plus en plus fiables trouvent des précé-dents historiques dans les consé-quences d´éruptions volcaniques majeures, bien plus limitées qui créèrent autrefois des déficits temporaires analogues (1816 en Europe, 1883 en S.E. Asie). Une guerre nucléaire importante aurait des effets beaucoup plus dévastateurs encore.

Faibles doses de radiations dans divers cas
D´autres experts exposent les différentes façons dont des irra-diations, même faibles, peuvent affecter les multiplications cel-lulaires. On connaît les muta-tions directes ou les translo-cations de certaines séquences géniques en des endroits des chromosomes où elles ne sont plus soumises à la régulation normale des populations cellu-laires. Mais de plus, une instabilité génomique peut être induite dans des cellules non atteintes directement, et situées à distance de celles directement touchées. Ces effets indirects rendent par-ticulièrement difficiles les étu-des sur les rapports entre doses et effets. On doit tenir compte de nouveaux facteurs (encadré) :

- Le calcul des doses absorbées, en Sievert par kilo de tissu vivant, ne convient absolument pas quand la répartition des sources est très hétérogène, si ce sont des micro-grains de produits radioactifs dispersés dans les organes et n´affectant chacun qu´un îlot de quelques centaines de cellule (sur moins de 50 microns), séparés par des distances considérables (à échelle cellulaire) où il n'y a aucune irradiation.
- le degré d´instabilité des génomes, variable selon les tissus et l´âge des individus concernés. Il semble que les enfants très jeunes, et plus encore les foetus, soient particulièrement vulnérables.
- les effets de voisinage cellulaire et le transfert de cytokines.
- les effets tandem et postposés (micro noyaux provoquant un déficit génétique dont les consé-quences n´apparaissent qu´après plusieurs divisions mitotiques ultérieures.

M. Kalinowski, (directeur d´un centre de recherches allemand) dénonce la tendance à produire des isotopes à usage médical à partir d´uranium enrichi en son isotope 235, le seul qui peut devenir un explosif nucléaire. Certains réacteurs, qui sont aussi « plutonigènes », utilisent préférentiellement cet isotope, qui peut être dévoyé vers un usage militaire.

Tilman Ruff évoque l´héritage des séries d´essais nucléaires des grandes puissances. Il commence par citer le cas de l´ins-titutrice française enseignant dans une île isolée du Pacifique, à qui on offrit dans les années 90, un congé inattendu à 1500 Km de là. Quelques jours plus tard, la population était irradiée par un essai relativement proche qui affecta une partie des habitants, surtout les enfants. Je crus d´abord que le conférencier succombait à l´habitude de critiquer le pays voisin et concurrent. Mais il enchaîna sur des abus portant sur des populations bien plus importantes encore lors d'essais américains aux Etats-Unis et britanniques en Australie. Dans tous ces pays, les armées ont, de prime abord, refusé toutes les compensations. Plus tard, devant l'insistance des tribunaux, elles ont tenté de minimiser leurs responsabilités, que les victimes aient été des civils ou d'anciens militaires. Les recommandations de Com-missions d´enquêtes officielles n´ont pas été appliquées, malgré parfois leur dénomination de "royales" (Grande-Bretagne). La dépollution des sites utilisés pose toujours des problèmes quasi insurmontables, sans compter ses coûts énormes.

Le Dr. B. Williams évoque les conditions sanitaires déplorables d´aborigènes australiens lors de l´exploitation de gisements uranifères, maintenant abandonnés, et le Dr S.K. Singh (Inde), celles que connaissent encore aujour-d´hui des villages indiens de l´Etat du Kerala, opérant des mines d´uranium dans des conditions d´hygiène lamentables, pires que ceux des premières mines tchèques (XIXe siècle) quand on ignorait tout de la toxicité de ces minerais. Au Kerala, Il y a diverses malformations chez des enfants nés des mineurs concernés, mais ces études sont encore à leurs débuts. Elles exigeraient des cohortes de témoins fiables, ce qui demanderait un budget élevé, impossible à dégager. Selon la fréquence des effets étudiés, ces populations témoins peuvent devoir être très nombreuses pour que les conclusions statistiques soient indiscutables.

Pour réveiller le grand public, les Australiens présentent la campagne ICAN (International Campaign for the Abolition of Nuclear weapons), qui permet d´utiles jeux de mots (I can live without nuclear weapons, I can abolish N.W. and I will, I can be defended without, etc). Elle prend un élan certain dans les pays où l´anglais est très répan-du et se transpose aisément dans les langues germaniques (ex. : Ik kan). Nous en reparlerons. Son avantage est moins net dans d´autres langues.

Le second jour fut consacré à des ateliers où on passa en revue des problèmes d´actualité plus immédiate, comme le financement nécessaire de recherches supplémentaires des effets sur le climat, les effets psychosociaux du nucléarisme ou la situation actuelle dans le monde.

Etat des lieux
Tous les pays nucléaires offi-ciels étudient de nouveaux mo-dèles d´armes atomiques et n'ont pas de plan pour appliquer l´article VI du Traité de Non Prolifération, qui leur enjoint de négocier sans retard une élimi-nation progressive. Les USA ont environ 9 400 têtes, dont 5 200 actives pouvant être lancées sans aucun délai. Les nouveaux modèles auront une explosion «plus efficace », dit le programme Reliable Replacement War-heads (voir notre n° 99), pour lesquels des crédits de recher-ches sont demandés en 2008, sans compter les milliards de la défense anti-missiles. Un délé-gué américain souligne cepen-dant que le budget soumis au Congrès pour la mise au point de ces nouvelles têtes est assez faible, et d'ailleurs mal reçu par le Congrès. Le gouvernement cherche à voir comment présenter des demandes plus substantielles plus tard.

La Russie auraient encore 16 000 têtes, dont 5 800 actives, constituant une « dissuasion réciproque suffisante ». Elle se méfie surtout de l´extension de l´OTAN et étudie de nouveaux modèles. La France a toujours environ 400 têtes nucléaires, veut construire de nouveaux sous-marins et des missiles plus performants ; elle y consacrera 18 milliards d´€uros (27 en dollars) en dix ans. La Grande Bretagne se contente de ses 185 bombes, mais veut dépenser 25 milliards de livres (50 en dollars) pour renouveler complète-ment le système Trident (sous-marins, + missiles américains). La Chine, par contre, se contente depuis 20 ans de ses 200 têtes nucléaires, et de quelques sous-marins. Ou bien est-elle une petite cachottière?

Parmi les non officiels, Israël a entre 75 et 200 têtes, une demi-tonne de plutonium et deux sous-marins cédés par les USA. l´Inde qui a moins de cent têtes veut en augmenter le nombre jusqu'à 3 ou 400. Cette politique stimule la prolifération en Asie du Sud ; le Pakistan a environ 50 bombes: il hébergeait le fameux A.O. Khan, qui vendait le savoir faire et probablement des équipements à d'autres pays musulmans. On semble avoir persuadé la Corée du Nord, économiquement exsangue, de ne pas poursuivre, mais l´Iran accumule de l´uranium hautement enrichi. Pays riche en pétrole, ses capacités de raffinage sont très insuffisantes et il dépend curieusement du mar-ché mondial pour ses besoins journaliers en produits dérivés. Apparemment, il préfère dépenser son argent à se faire construire une centrale nucléaire spéciale par les Russes. Toutes ces dépenses sont bien entendu partout exclusivement destinées à des armes défensives et « dissuasives ». C´est cher payé pour des outils dont on prétend qu´ils ne doivent servir que d´argument diplomatique !

On souligne aussi d´autres points. Les efforts pour mobili-ser les opinions publiques contre cet armement restent partout insuffisants. Aux Etats-Unis, certains officiels parlent parfois de réduction, mais leur sincérité est douteuse. En Grande Bretagne, le mouvement contre le renouvellement du Trident (surtout en Ecosse où il devrait être installé) est plus actif, mais le gouvernement souligne que le nombre de ses bombes a déjà été réduit à un « minimum ». La France vient de changer de politique, se rapproche de l´attitude américaine et de l´OTAN. L´opinion n´est pas informée, encore moins consultée. La presse ne joue pas son rôle. Les autorités militaires françaises prétendent se préoccuper du long terme, quand la Chine deviendra une menace militaire. Menace économique, certes, mais danger militaire ? Nos amis de l´AMFPGN tentent, avec Abolition 2000, de lancer la campagne ICAN.

S. Kolesnikov (Russie) souligne les préoccupations russes à propos des missiles anti-missiles à déployer en Pologne, ce qui déséquilibrerait tout à fait la relative égalité ente les missiles russes et américains. Le projet de traité entre les USA et l´Inde, permettant à celle-ci d´accumuler des explosifs radioactifs (sans contrôle de l´AIEA) sous prétexte de transfert de techno-logie nucléaire civile, suscite les vives craintes des représentants du Bangladesh et du Pakistan, craignant que cela n´attise la course aux armements dans le sous-continent. Leur collègue indien souligne, lui, que ce projet n´est soutenu que par la partie nationaliste de l´opinion et certains industriels. Ce traité, apparemment si généreux pour une Inde nucléaire comporterait sans doute de secrètes contreparties. (On apprendra la semaine suivante que le projet a été rejeté par le parti du Congrès et le Premier Ministre).

A. Behar (France) souligne le problème de nombreux pays musulmans, du Maroc à l´Indonésie cherchant à se doter d´une industrie nucléaire civile, surtout s´ils n´ont guère de ressour-ces pétrolières. Il faut les aider, tout en les détournant de dange-reuses dérives.

On évoque aussi la difficulté d´éliminer les ogives américai-nes entreposées dans plusieurs pays européens non nucléaires, dont la Belgique. Les gouverne-ments semblent craindre que l´élimination de ces armes n´entraîne du chômage et lèse des intérêts économiques ; ils en profitent pour considérer cette demande comme « irres-ponsable ». La discussion mon-tre qu´en Allemagne, cela ne peut avoir qu´un effet très localisé, mais en Belgique, où il s´agit de Kleine Brogel, mais aussi de l´OTAN à Bruxelles et du SHAPE à Mons, cela pour-rait avoir un certain impact. D´autres pays, comme la Grèce, ont cependant obtenu sans encombre l´élimination de ces armes il y a quelques années. Nous sommes prêts à prendre le risque. Cela rendrait l´Union Européenne presque entièrement dénucléarisée et permettrait de faire pression sur nos deux voi-sins anglais et français, si pro-ches depuis des siècles qu'ils sont quasi des cousins, pour qu'ils nous rejoignent. Nos amis suisses lancent une campagne de cartes postales à ce propos (p. ).

Réunion à la Chambre des Communes
L´après-midi, nous avons rencontré plusieurs membres de la Chambre des communes qui, en principe, partagent nos conceptions. Certains d´entre eux signalèrent pourtant le danger de voir mobiliser contre nous la main d´oeuvre d´usines spécialisées dont l´emploi disparaîtrait si on éliminait les armes qu´ils produisent ou entretiennent. Mais ceci s´applique aussi à tous les armements réglementés ou interdits (mines anti-personnel, obus à fragmentation ou à chape d´uranium) et ne peut, en rien justifier qu´on continue à produire des armes inadmissibles.

La dernière session, pour le grand public, se déroula le soir à Westminster Abbey. Intitulée Comment éliminer la menace nucléaire, les conséquences d´un échec, elle fut honorée de la présence et d´un message de l´Archevêque de Cantorbéry.

Voici la conclusion de cette der-nière session. L´alternative présentée aujourd'hui officiellement au monde pour faire face au péril nucléaire est un faux choix : soit on verra un nombre crois-sant de pays dotés de cet arme-ment, soit on empêchera par n´importe quel moyen, de nouveaux Etats de l´acquérir, tout en permettant aux puissances nucléaires actuelles de conserver leurs arsenaux. Dans ces conditions, le risque de voir employer des armes nucléaires ne peut que croître avec le nombre de leurs possesseurs. Les leçons de la guerre « préemptive » en Iraq et les conséquences déjà prévisi-bles d´attaques similaires contre l´Iran, la Corée du Nord ou d'au-tres, montrent clairement qu´on ne résoudra pas ainsi le problè-me de la prolifération nucléaire. Une troisième option que les débats politiques entre dirgeants des grandes puissances n´envi-sagent pas : l´abolition totale des armes nucléaires, incompatibles avec la survie de l´humanité, quelles que soient les mains de ceux qui les détiennent.




















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