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Les chiffres de l'ONU ont été sous-estimés

Le Monde 07.04.06

07.04.2006 L'organisation internationale "Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire" (IPPNW) a estimé, jeudi 6 avril, que le bilan et les prévisions de l'ONU sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl étaient "sous-estimés" et a appelé à plus de transparence sur le sujet. Le rapport de l'ONU, publié en septembre 2005 (soit quelques mois avant le 20e anniversaire de Tchernobyl, le 26 avril), avait attribué à la catastrophe moins de cinquante morts directes à la date de fin juin 2005. "Ces chiffres sont sous-estimés et absolument faux", a critiqué Angelika Claussen, présidente de la section allemande de l'IPPNW.

A l'occasion de la présentation de son propre rapport sur les "Conséquences de Tchernobyl sur la santé" réalisé avec la "Société pour la protection contre les rayonnements" (GSF), l'IPPNW ne prétend pas vouloir présenter des chiffres absolus, "impossibles à obtenir pour des raisons de méthode". Il s'agit plutôt de "donner un ordre de grandeur des dommages" causés par Tchernobyl, a souligné Mme Claussen. Dans son rapport, l'organisation demande à la communauté internationale "l'accès illimité des citoyens intéressés aux données sur la catastrophe de Tchernobyl", "l'abandon des centrales nucléaires" et une aide "efficace et sur le long terme" aux personnes tombées malades à la suite des radiations dans la région de Tchernobyl.

"UNE MENTALITÉ DE VICTIME"

Selon cette étude reposant sur l'évaluation d'expertises existantes, "plus
de 10 000 personnes [seraient] atteintes d'un cancer de la thyroïde et 50
000 cas supplémentaires [seraient] attendus à l'avenir". De son côté, l'ONU fait état de "quelque 4 000 cas de cancer de la thyroïde" imputables à la contamination résultant de l'accident. "En Europe, il y a eu 10 000 malformations chez les nouveaux-nés en raison de Tchernobyl et 5 000 décès chez les nourrissons", affirme l'IPPNW. Par ailleurs, "plusieurs centaines de milliers de membres des équipes d'intervention [sur le site] sont de nos jours malades des suites des radiations, plusieurs dizaines de milliers sont morts", poursuit l'organisation.

"Il est très cynique de reprocher aux personnes en Ukraine, en Biélorussie
et en Russie une mentalité de victime et de leur recommander de mieux se
nourrir et d'avoir un style de vie plus sain", a affirmé Mme Claussen. En
effet, selon le rapport de l'ONU, la population locale "a tendance à mettre
tous les problèmes de santé sur le compte de l'exposition aux rayonnements" et "à supposer que les décès imputables à l'accident de Tchernobyl étaient beaucoup plus nombreux qu'ils ne le sont réellement". Réconfortés par le
rapport onusien, les académiciens russes continuent de nier l'ampleur de la catastrophe, provoquant la colère des victimes et des écologistes.

UN ANNIVERSAIRE POLÉMIQUE

L'explosion le 26 avril 1986 du quatrième réacteur de la centrale de Tchernobyl (Ukraine, à l'époque république soviétique) "n'est pas une catastrophe, ni même un accident technique grave si l'on juge d'après le nombre de victimes", estime Léonid Bolchov, directeur d'un institut sur l'énergie atomique à l'Académie des sciences. "Les conséquences de Tchernobyl prouvées scientifiquement sont bien limitées : 47 secouristes sont morts des suites de l'exposition aux radiations et neuf enfants de cancers de la thyroïde", souligne le responsable en reprenant le rapport de l'ONU.

L'académicien Léonid Iliine, directeur de l'Institut étatique de biophysique, qui avait déconseillé en 1986 aux autorités ukrainiennes d'évacuer Kiev, distante de 70 kilomètres, alors qu'il y avait une menace d'une nouvelle explosion, pense, vingt ans plus tard, que l'histoire lui a donné raison. Son seul regret ? que les hommes politiques ne l'aient pas écouté quand il avait proposé de "réduire les avantages" sociaux des liquidateurs, ces pompiers, soldats, ouvriers envoyés nettoyer le site après la catastrophe dans des conditions de sécurité dérisoires. Scandalisés par ces propos, les écologistes et les victimes de la catastrophe ont dénoncé mercredi une campagne destinée à faire oublier, selon eux, la plus grave catastrophe de l'histoire du nucléaire civil. "Tchernobyl sombre dans l'oubli en Russie, qui a de grandes ambitions nucléaires", déplore Viatcheslav Grichine de l'Union Tchernobyl, principale organisation des liquidateurs. Selon lui, sur 600 000 liquidateurs envoyés d'Ukraine, de la Russie et de Biélorussie, "25 000 sont morts et 70 000 restés handicapés en Russie, en Ukraine les chiffres sont proches et en Biélorussie 10 000 sont morts et 25 000 handicapés".

"UN SOUTIEN IDÉOLOGIQUE"

La branche russe de Greenpeace a pour sa part vilipendé le rapport de l'ONU qui "a pour objectif de soutenir idéologiquement le programme de construction de 40 nouveaux réacteurs nucléaires en Russie d'ici à 2030". Le rapport "fait partie d'une opération de relations publiques afin de rendre moins aigu le problème [de Tchernobyl] aux yeux de l'opinion alors que 70 à 80 % des Russes s'opposent à la construction de centrales nucléaires près de chez eux", a déclaré le responsable de Greenpeace Russie, Vladimir Tchouprov. Selon l'organisation écologiste, qui cite une étude du centre d'expertise écologique indépendante de l'Académie des sciences, 67 000 personnes sont mortes en Russie entre 1990 et 2004 des suites de Tchernobyl.

Lioudmila Komogortseva, présidente de la commission écologique de l'assemblée régionale de Briansk, la région russe la plus touchée par la radioactivité, a pour sa part déploré que plusieurs programmes d'approvisionnement des écoles en produits alimentaires et eau non
contaminés ne soient plus financés depuis plusieurs années. Selon elle, 2
700 cas de cancers de la thyroïde ont été enregistrés entre 1991 et 2003
dans cette région, dont 290 cas chez des personnes qui étaient enfants au moment de la catastrophe. Des académiciens russes ont eux parlé mardi de seulement 226 cas répertoriés au total dans la région de Briansk.

Avec AFP

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